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 dans Testament, Verbum Legale

Le Code civil du Québec prévoit que le legs au conjoint fait antérieurement au divorce est révoqué. Il en est de même pour la désignation du conjoint comme liquidateur de la succession[1].

Dès l’entrée en vigueur de cette disposition, les tribunaux ont été appelés à interpréter cet article, notamment en lien avec la Loi sur l’application de la réforme du Code civil[2].

La question principalement posée aux tribunaux était de savoir si les critères suivants devaient être tous respectés pour que la révocation de l’article 764 du Code civil s’applique :

  • Le testament a été rédigé après le 1er janvier 1994.
  • Le divorce a été prononcé après le 1er janvier 1994.
  • Le décès a eu lieu après le 1er janvier 1994.

La Cour d’appel du Québec[3] a ainsi statué en 2010 que l’article 764 C.c.Q. faisait partie des effets d’un décès et non du testament lui-même ou du divorce avec, comme conséquence, que peu importe la date du testament et/ou la date du divorce, dès que le testateur décède après 1994, la désignation du conjoint comme légataire et liquidateur est révoquée.

Mais si le legs est révoqué, qui hérite alors? Les légataires prévus au legs en sous-ordre dans le testament ou les héritiers ab intestat?

Avant de répondre à cette question, nous croyons qu’il est important de préciser ce qu’est un legs en sous-ordre.

Généralement, un testateur prévoit dans son testament un ou des legs à des personnes déterminées. Il est de bonne pratique, dans un testament, de prévoir le sort du legs advenant l’inefficacité de celui-ci[4].

À titre d’exemple, la clause de legs dans un testament s’écrit généralement ainsi :

Je lègue tous mes biens, immeubles, corporels, incorporels, tangibles ou intangibles à mon épouse Louise, que j’institue ma légataire universelle.

Si mon épouse Louise me prédécède ou ne me survit pas trente jours ou renonce à ce legs, mes biens iront à mon ami Jean.

Le deuxième paragraphe de cette clause est un legs en sous-ordre.

Dans quelles circonstances le legs en sous-ordre s’applique-t-il?

Le legs en sous-ordre s’applique lorsque les conditions du legs principal sont rencontrées. Dans l’exemple précédent, le legs en sous-ordre s’appliquera seulement si la légataire principale (Louise) a prédécédé le testateur ou encore, si elle est décédée dans les trente jours suivant le décès du testateur, ou finalement, si elle a renoncé à son legs. Nous sommes alors en présence d’un legs caduc.

L’article 764 du Code civil prévoit, non pas la caducité du legs ou sa nullité mais plutôt la révocation du conjoint comme légataire et liquidateur. Cette précision est importante puisque les conditions d’application du legs en sous-ordre tel que mentionné précédemment sont des causes de caducité du legs.

On peut définir la caducité comme un acte juridique valablement fait mais privé de tout effet en raison d’un fait survenu postérieurement à la rédaction d’un testament qui le rend sans valeur[5].

En matière successorale, le professeur Germain Brière définit comme suit la caducité :

« Il y a caducité lorsqu’un legs, non révoqué, est, cependant, privé d’effet par une circonstance qui en rend l’exécution impossible[6]. »

L’article 764 du Code civil constitue une cause de révocation de la désignation d’une personne et non une cause de caducité d’un legs[7].

Cette révocation, si elle n’est pas prévue par le testament, et c’est malheureusement souvent le cas, a pour effet d’empêcher l’application du legs en sous-ordre, car seule la caducité d’un legs conduit à sa dévolution à d’autres personnes[8].

Toujours dans notre exemple cité précédemment, comme la révocation du legs n’est pas prévue comme condition au legs, la clause du legs en sous-ordre ne peut s’appliquer advenant qu’il y ait eu divorce entre le testateur et Louise, avec comme conséquence que la succession sera dévolue en vertu des règles de la dévolution légale. Jean ne pourra pas ainsi hériter. Plusieurs décisions des tribunaux pointent en ce sens[9].

En conclusion, dans les circonstances, il est important de prévoir la révocation du legs comme condition pour l’application du legs en sous-ordre, à défaut de quoi, le testateur pourrait voir ses biens dévolus selon les règles de la dévolution légale, ce qui irait à l’encontre de l’intention du testateur.

1. Art. 764 C.c.Q.

2. L.Q. 1992, c. 57, art.37

3. Sioris c. Lamarre[1998] R.J.Q. 1573, REJB 1998-06447 (confirmé en appel J.E. 2000-673 (C.A.), REJB 2000-17091.

4. J,. BEAULNE, Droit des successions, mis à jour par Christine Morin, éditions Wilson et Lafleur, 2016, par. 1107.

5. Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, Éditions Wilson et Lafleur inc, 2015, 5e édition, p. 86.

6. Germain BRIÈRE, Les successions, traité de droit civil, Les éditions Yvon Blais inc., 1994, par. 498

7. Rivard c. Rivard, 2006, QCCS, 1785

8. Rivard c. Rivard, 2006, QCCS, 1785

9. Voir entre autres, Tremblay c. Schellenberg, 2020 QCCS 2614, Succession de Charpentier, 2020 QCCS 3790; Goulet c. Héritiers de Suzanne Guay 2019 QCCS 5203. Voir aussi Jacques EAULNE, Droit des successions, 5e édition, Wilson et Lafleur, 2016, par. 1189 et ss.

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