Cette question est encore plus pertinente en ces temps de pandémie, alors que les palais de justice de la province ne sont pas ouverts encore et que les juges et les greffiers sont habilités à entendre que les cas d’urgence. Il se peut donc, que votre cas spécifique de vente par un majeur inapte ne soit pas jugé urgent, il faut alors voir s’il y a d’autres avenues…
Je le vois régulièrement dans ma pratique, il arrive souvent qu’un majeur signe une promesse d’achat pour vendre son immeuble et que pour diverses raisons (AVC, accident, état de santé précaire qui s’est détérioré, etc.), il devienne alors inapte de fait avant la signature de l’acte de vente. Si le majeur avait signé une procuration générale en faveur d’une personne de confiance (conjoint, enfant, frère, sœur, ami…) pour la gestion de ses biens, cette procuration devrait en principe cesser d’avoir des effets dès l’inaptitude[1]. Pour pouvoir vendre, il faudra attendre l’homologation du mandat de protection.
Cependant, pendant l’instance en homologation du mandat, le législateur a prévu expressément que l’acte par lequel le majeur a déjà chargé une autre personne de l’administration de ses biens continue de produire ses effets, à moins que, pour un motif sérieux, cet acte ne soit révoqué par le tribunal.
Le deuxième alinéa de l’article 2167.1 du Code civil du Québec stipule que :
L’acte par lequel le mandant a déjà chargé une autre personne de l’administration de ses biens continue de produire ses effets malgré l’instance, à moins que, pour un motif sérieux, cet acte ne soit révoqué par le tribunal.
Cette disposition permet donc au mandataire d’agir en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés aux termes de la procuration, en attendant que le jugement homologuant le mandat de protection soit rendu[2]. Évidemment, il ne peut agir que selon les pouvoirs prévus. Par exemple, si le mandat ne lui permet pas de vendre l’immeuble du mandant, il ne pourra agir en ce sens. Si, au contraire, ce pouvoir lui a été attribué, il pourra vendre l’immeuble, sans l’obligation d’attendre le jugement en homologation du mandat de protection[3].
Pour que cet article puisse s’appliquer, les critères suivants doivent être respectés :
On devra vérifier que la procuration n’a pas été révoquée[4]; Une demande d’homologation de mandat devra avoir été déposée au greffe du tribunal et avoir été signifiée au mandant[5]; Une vérification devrait être faite au plumitif pour confirmer qu’aucune demande de révocation n’a été instituée[6].
Il faudra également vérifier que le mandat général accorde au mandataire le pouvoir d’aliéner un bien du mandant.
À défaut de respecter les exigences du deuxième alinéa de l’article 2167.1 C.c.Q., le mandataire sera considéré comme un administrateur de fait qui est tenu aux obligations d’un administrateur du bien d’autrui chargé de la simple administration[7].
Conclusion
Ainsi, un mandataire nommé en vertu d’un mandat général comportant une clause en prévision de l’inaptitude ne peut agir avant l’homologation d’un mandat à moins que la demande d’homologation d’un mandat n’ait été déposée au tribunal.
[1] Claude FABIEN, « Passage du mandat ordinaire au mandat de protection », (2001) 80 R. du B. can. 951, 959; Michel LÉGARÉ, « L’obligation de vérifier la capacité des parties », (1977-78) 80 R. du N. 161; Roger COMTOIS, « Deux aspects de la procuration : révocation pour cause d’incapacité, l’irrecevabilité du mandant », (1985) 87 R. du N. 236; ClaudeFABIEN, « Les règles du mandat », dans Répertoire de droit, Chambre des notaires du Québec, Mandat, Doctrine,
Document 1, 1987, p. 105, n 68.
[2] Voir à cet effet D. GOUBAU, Le droit des personnes physiques, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 2014, par. 786; M. BEAUCHAMP, Tutelle, curatelle et mandat de protection, Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 2014, p. 356; S. (D.) c. D. (A.), (C.S.).[3] Dans la décision Grenier c. Grenier, EYB 2015-253135 (C.Q.), le tribunal était appelé à statuer sur la vente d’un immeuble faite par le mandataire avant l’homologation du mandat en se basant sur une procuration générale qui comprenait des pouvoirs de pleine administration. Le tribunal a conclu que le mandataire n’avait pas le pouvoir de vendre puisque la demande en homologation de mandat n’avait pas été déposée au préalable. Voir à ce sujet, M. BEAUCHAMP, Commentaire sur la décision Grenier c. Grenier – La validité d’une vente faite par un mandataire avant l’homologation du mandat de protection, EYB2015REP1758.[4] Art. 2175 et 2176, al. 2 C.c.Q.[5] Une copie du rapport de signification par l’huissier devra être obtenue.[6] Art. 2167.1, al. 2 C.c.Q.[7] D. GOUBEAU, précité, note 4, par. 786 et M. CANTIN-CUMYN et M. CUMYN, L’administration du bien d’autrui, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 2014, par. 136